đđ„MEILLEURS VOEUX 2023 / « Chasser sous la mer », un poĂšme d’Eric Guerrier
Publié il y a 11 mois - ARTS ET CULTURE, COMMUNICATION

Par Hugues Maldent, publié le 10 janvier 2023.
Chasser sous la mer
(Eric Guerrier* – dĂ©cembre 2022)
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« Lui nâĂ©tait ni pĂȘcheur ni chasseur, mais mon pĂšre,
LâĂ©tĂ© quarante se mit Ă chasser sous la mer,
Sur notre coin de plage de la cĂŽte dâAlgĂ©rie.
Je ne sais pas comment lui vint une telle envie,
OĂč trouva-t-t-il des palmes, un masque et un tuba,
Ce fusil Ă ressort, tout made in USAÂ !
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Je nâai souvenir que de quelques gros mulets.
Je nâavais que six ans, mais dĂ©jĂ pĂȘcheur nĂ©,
Dans lâoued Ă la ferme, Ă la mer en Ă©tĂ©.
Les années ont passé, toujours passionnées.
A onze ans retrouvant masque et tuba du pĂšre,
Ce sera mon tour de grenouiller sous la mer.
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Un jour pĂȘchant en barque, un chasseur acharnĂ©
A plonger et replonger sur un mérou fléché,
Nous avait appelĂ©s. Une grosse tĂȘte Ă©mergeaÂ
Puis le corps hérissé dans un ultime combat.
Ce mérou me laissa une image héroïque
Qui réveilla en moi un appel prophétique.
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De ce jour je lâai su, je deviendrais chasseur.
Abandonnant la pĂȘche, sans plus compter les heures,
Délaissant la baignade et autres jeux de plage,
Je me suis forcĂ© Ă mâĂ©loigner du rivage.
Acharné, grelottant, je survolai les fonds
Apprenant Ă connaĂźtre ce monde sans horizon.
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Aucune chasse sans dâabord maĂźtriser son apnĂ©e,
Sonder la profondeur et savoir oĂč plonger.
Toujours sur le qui-vive et avec lâattention
A comprendre habitudes et réflexes du poisson.
Déceler les présences dans les posidonies
Et les ombres furtives sous les roches en abris.
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Attendre chaque été un genre de communion.
Dans une sorte dâascĂšse avec obstination.
Quelque chose qui ressemble en silence sous la mer,
Au tracé des sillons du labour de la terre.
Mais le chemin est long, le labeur infini,
Et pour espérer prendre, il faut un bon outil.
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Avec cette passion dâarriver Ă chasser,
Ado jâai bricolĂ© cent systĂšmes pour monter
Sur un manche Ă balais, des flĂšches en fil de fer,
Et en guise de sandows, des coupes de chambre Ă air.
Je nâai jamais rien pris avant un vrai fusil
Et mĂȘme comme ce fut long pour un petit denti.
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Pour un premier mĂ©rou, encore combien dâĂ©tĂ©s,
Combien dâheures innombrables, et combien de ratĂ©s ?
Jusquâau miracle grec de lâĂ©tĂ© cinquante-sept.
Tout avait pris sa place dans une forme parfaite,
Lâaisance en eau profonde, Â le flair des territoires,
LâapnĂ©e, lâapproche, le tir. TerminĂ©s les dĂ©boires.
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Et voilĂ un mĂ©rou qui sâest arcboutĂ©.
Une lutte jusquâau soir. Alors devoir rentrer
Fut comme abandonner un compagnon blessé
Sur le champ de bataille. DĂšs lâaube jâai replongĂ©,
Au bout dâune nuit funĂšbre, le mĂ©rou Ă©tait mort.
Et je me suis jurĂ© dâĂ©viter un tel sort.
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Bien que personne encore nâavouait sâĂ©mouvoir
De souffrance animale, je me fis un devoir,
Nâabandonner jamais quelque poisson blessĂ©,
Sans avoir tout tentĂ©, mĂȘme sâil sâest Ă©chappĂ©.
Et jâai tenu parole non sans difficultĂ©
Quitte à tout sacrifier du reste de la journée.
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Lâombre dâun gros mĂ©rou qui se glisse lentement
Dans une faille verticale au bas dâun grand tombant.
Jusquâau jour qui dĂ©cline, vingt plongĂ©es Ă lutter.
Alors une priÚre, transmission de  pensée ?
Je ne te laisserai pas cette nuit Ă souffrir.
Et la flÚche qui mollit, puis il se laissa venir !
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Autre mérou cette fois enroché sous une pierre
A bien plus de vingt mĂštres. Une mĂȘme priĂšre,
Et là encore il vient sans plus de résistance.
Un seul message possible au travers du silence
Que dâinfimes vibrations comme le rythme du cĆur
OĂč le mĂ©rou mesure lâĂ©motion du chasseur.
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Nage au-dessus dâune plaine. Que des posidonies !
Une coulée au hasard, et au bout du fusil
Immobile dans lâherbier, un beau corbe est cachĂ©.
A peine à ma ceinture, une nouvelle plongée,
Improbable hasard, nouveau corbe embusqué.
Cinq fois mĂȘme hasard, puis rien en vingt apnĂ©es.
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Autres posidonies sans lâombre dâun rocher
A nouveau au hasard, une mĂȘme coulĂ©e,
Au bout de quinze mĂštres, le dos dâun grand denti,
Lui aussi bien masqué, comme aussi endormi.
En fait point de hasard, ni don de sixiĂšme sens,
Mais une sorte de flair avec un peu de chance.
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Pendant les longues années à scruter tant de fonds,
Les signaux invisibles dâinfimes perceptions
Enfouis dans une mĂ©moire dâexpĂ©riences vĂ©cues,
Sâaiguise une intuition qui remplace la vue.
Ainsi choisir le trou oĂč se cache un mĂ©rou,
Nâest que profonde mĂ©moire des lieux de rendez-vous.
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Mais quelquefois la chance est vraiment un hasard,
Au fin fond dâune grotte, lâĂ©clair argent dâun sar.
Cette fois derriĂšre le sar, et sur la mĂȘme flĂšche
Se dĂ©bat un mĂ©rou, et derriĂšre, tĂȘte-bĂȘche,
Un énorme dos brun. Difficile à sortir,
Il sera mon plus gros, et grand Dieu quel plaisir !
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Sommet de la technique et de la folie pure.
Jâai plus tard pratiquĂ© un temps de dĂ©mesure
A la chasse aux tableaux et jusquâen safaris
Dalmatie, Tunisie, Açores ou Canaries.
MĂȘme en rade de Marseille ou sur les cĂŽtes dâEspagne,
Pour celui qui connaĂźt, des chasses de cocagne.
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Devant lâĂ©volution et les accusations,
Le temps de lâinnocence sâest perdu en questions.
Pourquoi cette lubie de chasser sous la mer ?
A quel démon doit-on ce plaisir solitaire ?
Sans arÚne ni public, peut-on y voir un sport ?
Et si câen Ă©tait un, pourquoi les mises Ă mort ?
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Et comment justifier cette passion sauvage ?
Cause-t-elle Ă la mer dâirrĂ©parables outrages ?
Depuis lâaube des temps, lâaurait-on oubliĂ©,
Survivre dépendait pour les uns du gibier
Pour dâautres du poisson. CâĂ©tait nĂ©cessitĂ©,
Aujourdâhui accusĂ©e de criminalitĂ©.
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Pratiques immémoriales, comment imaginer
Les voir disparaßtre en quelques jeunes années ?
La chasse comme la pĂȘche se sont perpĂ©tuĂ©es
En loisirs consacrĂ©s, aujourdâhui contestĂ©s,
Tandis que lâĂ©levage remplaçait le gibier
Et les pĂȘches aux sauvages sâindustrialisaient.
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Face aux énormes rafles de tous les chalutages,
La chasse sous la mer cause-t-elle tant de dommages ?
Face aux raclages des fonds, les espÚces chassées
Par les prises en apnée, sont-elles mises en danger ?
Face aux flottes de pĂȘche et au volume des mers,
Que reprĂ©sentent lâimpact des chasses solitaires ?Â
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AprĂšs des milliers dâheures de chasse et mĂȘme sans frein,
Je suis au moins certain que cette chasse nâest en rien
Une jouissance Ă tuer, pas plus quâĂ faire souffrir.
Câest dâarriver Ă prendre qui procure un plaisir,
Celui de la victoire, de gagner dans un jeu.
Mais tuer pour jouer nâest-il pas odieux ?
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La question aujourdâhui est devenue cruciale
Désormais on la pose en termes de morale.
Faisons donc attention à ne pas mélanger,
Dâun cĂŽtĂ© la morale, matiĂšre subjective,
De lâautre les donnĂ©es qui, elles, sont objectives.
Il est donc vain de croire les voir se concilier.
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Le point de vue moral est strictement un choix,
Tuer un animal est-il un crime en soi ?
Des huĂźtres aux abattoirs, est-ce la mĂȘme question ?
Est-ce une affaire de droit ou seulement dâĂ©motion ?
En matiĂšre animale, la cause fait son chemin
Depuis le gros nounours jusquâaux vĂ©gĂ©taliens.
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Les données au contraire, se mettent en équation :
Le nombre de chasseurs ; quelles espÚces de poissons ;
En quelles populations ; temps de renouvellement ;
Quelles quantitĂ©s de prises ; et sur lâenvironnement
Territoires concernĂ©s. Tout cela sâĂ©value,
Suggérant quelques rÚgles qui évitent les bévues.
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Pour vivre sa passion sans paraĂźtre boucher,
Le chasseur sous la mer, « doit savoir sâempĂȘcher »,
Comme contenir lâivresse des tableaux et trophĂ©es,
MaĂźtriser son instinct en sachant sâimposer
Des rÚgles de conduite avec loyauté
Comme la chevalerie en avait en inventées.
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A moyens avec armes en tout proportionnés,
Aucune tribu sous roche oĂč elle est rĂ©fugiĂ©e
Ne sera toute flĂ©chĂ©e. Ăpargner les petits,
 Câest mĂ©nager lâavenir et aussi leur abri.
Bien sûr ne chasser que les espÚces consommables,
La passion du chasseur doit sâassouvir Ă table.
Â
Chasseurs chevaliers et non pas spadassins,
Au diable lâintĂ©grisme des tartuffes et des saints.
La voie est difficile, elle vaut dâĂȘtre vĂ©cue
Et Ă cette condition, vaut dâĂȘtre dĂ©fendue.
Il faut garder lâespoir, il est dans la mesure
Qui, mise en toutes choses, sauvegarde la Nature. »
                                                          Â
* Eric Guerrier est un grand chasseur sous-marin français installĂ© en Provence qui a pratiquĂ© des annĂ©es 50 Ă 80 un peu partout dans le monde, il est l’auteur de deux livres sur la pĂȘche sous-marine dont le formidable « Histoire de chasser sous la mer ». Il est architecte de mĂ©tier et passionnĂ© par l’Egypte ancienne (il a Ă©crit plusieurs livres sur la construction des pyramides) mais aussi philosophe, peintre et poĂšte Ă ses heures ! Lechasseursousmarin.com lui a consacrĂ© un Ă©pisode dans notre Ă©mission radio « MĂ©moire de chasse ». Vous pouvez regarder la bande annonce en vidĂ©o et – pour les abonnĂ©s – Ă©couter le podcast #7 en suivant ce lien : https://csm.preprodgcom.com/invite/eric-guerrier/
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